Pour beaucoup de gens, la mention d’une épidémie d’insectes amène des images troublantes de nuées massives de criquets balayant le territoire comme une tempête pour dévorer toutes les récoltes et la végétation. Évidemment, les épidémies de criquets ne sont pas un problème pour les Canadiens, mais nous avons notre version d’épidémies d’insectes qui tentent de

balayer notre région. Lors de plusieurs soirées dégagées du 20 au 25 juillet 2016, les radars météo ont détecté des nuages de papillons de tordeuse des bourgeons de l’épinette provenant du Québec et se déplaçant vers le Nouveau-Brunswick (Fig. 1). Les papillons sont attirés par la lumière vive et ces nuages tendent donc à descendre vers des aires bien éclairées. En conséquence, nous nous retrouvons avec plusieurs images inquiétantes d’aires de stationnement et de voitures recouvertes de denses tapis de papillons, particulièrement dans le nord du Nouveau-Brunswick comme à Campbellton (Fig. 2).

 

 

 

 

 

 

On estime que des trillions de papillons de tordeuse se sont dispersés durant cet évènement de dispersion de masse. Ce spectacle et ses conséquences ont certainement suscité un grand intérêt de la part du public et une bonne couverture médiatique. Néanmoins, bien que l’évènement était certainement marquant de par ces images, c’est son implication pratique qui a amené le plus d’inquiétudes : ces évènements de dispersion de masse pourraient-ils supplanter nos efforts en cours pour ralentir la propagation de la tordeuse au Canada Atlantique (c.-à-d. le projet sur la stratégie d’intervention hâtive)?

Une grande partie de nos efforts durant la fin de l’été visait cette question : qu’avons-nous donc appris? Tout d’abord, avec l’aide de nos citoyens scientifiques dévoués (Pisteurs de tordeuse : http://pisteursdetordeuses.ca/#/), nous avons pu déterminer que l’évènement de dispersion était probablement assez vaste, se rendant peut-être aussi loin que le Cap Breton et allant jusque dans le Maine (É.-U.). Grâce aux papillons que nous avons récoltés dans les aires de stationnement et dans les arbres à Campbellton (Fig. 3), nous avons découvert que presque 80% de ces papillons étaient des femelles, transportant donc potentiellement jusqu’à 180-200 œufs chacune! Cependant, les inventaires menés sur le terrain tout de suite après l’évènement suggèrent que les plus fortes densités d’œufs ont été déposés principalement dans la région à l’intérieur de 30-50 km autour de Campbellton, bien qu’il y ait des indications de pontes d’œufs clairsemés allant jusqu’en Nouvelle-Écosse.

Nous avons pu tirer quelques conclusions préliminaires de ces résultats. Malgré l’échelle impressionnante de l’évènement de dispersion de masse, nos observations suggèrent que l’impact, quel qu’il soit, de cet évènement est plutôt localisé dans le nord du Nouveau-Brunswick, où les densités ont augmenté l’été dernier. Cette invasion est donc plutôt gérable dans le contexte de la stratégie d’intervention hâtive, qui permet une certaine dispersion des papillons du Québec. Néanmoins, deux questions demeurent : (1) Les tordeuses ainsi pondues peuvent-elles surmonter le contrôle local (p.ex. les oiseaux et les insectes prédateurs) et ultimement devenir de nouveaux « épicentres »? (2) Traiter ces « épicentres » avec des insecticides (Btk ou tébufenozide) permettra-t-il de prévenir la croissance de l’épidémie? Les recherches menées cette année répondront à ces questions et d’autres encore alors que nous continuons nos travaux pour comprendre comment les épidémies de tordeuses progressent dans le paysage et si nous pourrions ralentir leur progression.

Rob Johns