La tordeuse des bourgeons de l’épinette est un insecte indigène qui, périodiquement, tue les sapins baumiers et les épinettes en grand nombre dans l’est du Canada. De façon générale, la tordeuse n’est ni bonne ni mauvaise en soi. Il s’agit plutôt d’une perturbation naturelle qui tue des forêts matures, laissant la place à la régénération de jeunes forêts. Comme les feux de forêt, ces infestations font partie d’un cycle écologique naturel. Le cycle de la tordeuse aboutit souvent à la mort de sapins baumiers matures, qui sont remplacés par de jeunes sapins baumiers.

Mais, d’un point de vue économique, la tordeuse des bourgeons de l’épinette est résolument du côté de l’ennemi. La multitude d’études scientifiques indépendantes effectuées partout au Canada, publiées dans des revues à comité de lecture, ne cesse de nous le confirmer. En effet, ces études montrent qu’une infestation typique de tordeuses des bourgeons de l’épinette peut tuer jusqu’à 85 % des sapins baumiers matures et de 35 à 40 % des épinettes matures et des sapins immatures. Des études effectuées au Québec lors de la dernière infestation par la tordeuse (1967-1992) ont estimé les pertes découlant de la mortalité des arbres à 238 millions de mètres cubes de bois d’œuvre auxquels s’ajoute un volume probablement similaire attribuable au déficit de croissance, pour une valeur commerciale estimée à 12,5 milliards de dollars.

D’autres études portant sur le secteur forestier du Nouveau-Brunswick ont quantifié les effets d’une infestation non maîtrisée de la tordeuse des bourgeons de l’épinette sur l’approvisionnement provincial en bois pour les 40 prochaines années. Chris Hennigar (qui détient un doctorat de l’UNB) a modélisé des scénarios plausibles sur les 3,0 millions d’hectares de terres de la Couronne au Nouveau-Brunswick en se fondant sur les données d’infestations de tordeuse antérieures, et il a obtenu des réductions cumulatives de 18 % et de 25 % des volumes de récolte pour des infestations modérées et des infestations sévères, respectivement. Prenant les mêmes scénarios d’infestation, Wei-Yew Chang (qui a aussi fait son doctorat à l’UNB) a conclu que les pertes économiques pour le Nouveau-Brunswick au cours d’une période de 30 ans pourraient être de 3,3 milliards et de 4,7 milliards. On pourrait éviter jusqu’à 30-50 % des réductions projetées grâce aux traitements de protection du feuillage, et de 1 à 18 % de plus en replanifiant la récolte et en récupérant le bois mort.

En l’absence de toute mesure de lutte contre la tordeuse, les projections découlant du ralentissement économique qui s’ensuivrait vont jusqu’à 1 900 emplois perdus par année pendant les 30 prochaines années.

Pour voir de près la tordeuse des bourgeons de l’épinette en action, il suffit de regarder ce qui se passe actuellement au Québec, où une infestation touche 4,2 millions d’hectares et se trouve maintenant à quelques kilomètres de la frontière du Nouveau-Brunswick.

Nous croyons que nous pouvons éviter une telle situation au Nouveau-Brunswick. Le Partenariat pour une forêt en santé (http://www.partenariatforetsante.ca) travaille à une recherche sur une stratégie d’intervention hâtive visant à repérer et à traiter les points chauds de la tordeuse des bourgeons de l’épinette afin de maîtriser l’infestation. La lutte se fait par l’application de l’agent biologique Bacillus thuringiensis ou du régulateur de croissance Mimic sur les points chauds de la forêt. Ces traitements ramènent les populations de tordeuse à des niveaux plus faibles, ce qui limite la propagation de l’infestation.

Au bout du compte, toutes les décisions relatives à la gestion de la tordeuse des bourgeons de l’épinette sont prises sur la base des meilleures données scientifiques connues. Munis de cette information, les experts en foresterie du gouvernement, de l’industrie et du secteur universitaire peuvent continuer à mettre au point des stratégies qui prennent en considération les effets environnementaux et économiques à court et à long terme d’une infestation.

Prof. David MacLean

Université du Nouveau-Brunswick

Faculté de foresterie et de gestion de l’environnement