Par Lucas E. Roscoe, Ph.D., Chercheur scientifique au Service canadien des forêts (Ressources naturelles Canada)
Les insectes se déplacent en forêt en utilisant les mêmes sens que les êtres humains et les animaux –la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat. Comme les autres animaux, ils se servent de leurs sens pour trouver de la nourriture, des partenaires d’accouplement et un abri au sein d’un environnement complexe.
Dans la recherche d’un partenaire, les insectes se fient à leur odorat pour détecter les phéromones, qui sont des odeurs uniques libérées dans l’atmosphère. Les phéromones sont présentes naturellement et spécifiques à chaque espèce, ce qui veut dire que la phéromone de la tordeuse des bourgeons de l’épinette agit uniquement sur sa propre espèce. On pourrait comparer les molécules de phéromone à des clés, et les antennes de l’insecte à des verrous. Pour que la molécule de la phéromone fonctionne, il faut la bonne clé pour ouvrir le bon verrou. Ces phéromones uniques permettent aux insectes de repérer des membres de leur propre espèce, même à de grandes distances.
Pourquoi les phéromones sont-elles importantes en recherche? Parce que la phéromone d’un insecte nous en apprend beaucoup sur celui-ci. Les similitudes et les différences dans les phéromones nous renseignent sur les liens possibles avec d’autres espèces. Nous pouvons également reproduire la phéromone d’un insecte et l’utiliser dans la gestion de cet insecte.
Vous connaissez peut-être les Pisteurs de tordeuses, notre programme de science communautaire de la tordeuse des bourgeons de l’épinette. Ce programme regroupe un large réseau de bénévoles situés dans l’est du Canada et l’État du Maine – ces pisteurs recueillent des papillons à l’aide de pièges en plastique vert pour notre programme de recherche tout au long de la saison de vol. Alors que l’élément le plus visible de ce système de piégeage est le piège en soi, la composante clé est en fait le leurre qui se trouve à l’intérieur.
Le leurre contient une petite quantité de phéromone de la tordeuse des bourgeons de l’épinette qui imite l’odeur de la femelle. L’odeur agit comme un phare pour le mâle – quand il détecte la phéromone, il est attiré vers le piège, où il se fait prendre. Les papillons capturés sont comptés, et ces données aident les chercheurs à mesurer les populations de tordeuse des bourgeons dans les régions où elles sont encore faibles.
Les phéromones peuvent également servir à d’autres fins scientifiques. Ainsi, quand une femelle produit sa phéromone, elle devient comme un phare au milieu de la brume. Les mâles peuvent détecter l’odeur de très loin et facilement la suivre pour trouver leur partenaire éventuelle.
Pour illustrer la perturbation du comportement reproducteur, imaginons que des millions de phares artificiels qui ont l’air et sentent exactement comme la femelle de la tordeuse des bourgeons soient placés partout dans la forêt. Les papillons mâles passent alors leur temps à se déplacer d’un phare à l’autre et finissent par abandonner leur recherche d’une femelle. De ce fait, la femelle ne peut pas s’accoupler ou pondre des œufs. Moins d’œufs se traduit par moins de chenilles la saison suivante, et moins de chenilles veut dire moins de dommages aux aiguilles causés par les chenilles qui s’en nourrissent et moins de papillons adultes au sein de la génération suivante!
Rappelez-vous, nous avons dit que les phéromones sont les clés, et les antennes sont les verrous… Donc, comme les phéromones sont uniques à chaque espèce, l’application d’une phéromone en forêt touche uniquement l’espèce à laquelle elle appartient, et les autres papillons, scolytes, bestioles et autres espèces d’insectes ne réagissent pas du tout à cette surabondance de phéromone de la tordeuse des bourgeons dans leur environnement et l’ignorent complètement. Cet aspect est d’une grande importance, car notre recherche montre que de nombreux autres insectes mangent la tordeuse des bourgeons de l’épinette et ont un rôle crucial à jouer dans le contrôle des populations.
Nous espérons mettre cette technique de perturbation du comportement reproducteur à l’essai durant la saison de recherche qui s’amorce. Beaucoup de planification et de travail sont en cours pour déterminer si elle pourrait être utile dans le cadre de l’intervention précoce contre la tordeuse des bourgeons de l’épinette.